Pour l’Anesthésiste Réanimateur

Anesthésie et amylose cardiaque

Les amyloses cardiaques
DE QUOI PARLE-T-ON ? 
Les amyloses cardiaques (AC) sont des maladies systémiques liées à l’infiltration interstitielle de protéines assemblées en « fibrilles amyloïdes ». Ces dépôts protéiques vont altérer la fonction des organes atteints. Les deux principales AC sont :
   – Les amyloses à chaîne légère d’immunoglobuline (AL). Cette maladie est en rapport avec une sécrétion monoclonale de chaînes légères (plus fréquemment lambda que kappa) en lien avec une anomalie clonale B (gammapathie > myélome > lymphome).
   – Les amyloses à transthyrétine (ATTR). Elles sont en rapport avec des dépôts de transthyrétine (TT ; aussi appelée pré-albumine) qui est une protéine, synthétisée par le foie, circulante sous forme de tétramère, utile au transport des hormones thyroïdiennes et de la vitamine A. Après s’être dissocié en quatre monomères, la TTR peut infiltrer le secteur extracellulaire sous forme de dépôts amyloïdes comme c’est le cas dans l’amylose sénile systémique appelée aussi amylose à TTR sauvage (ATTwt) ou lorsqu’il existe une mutation pathogène du gène TTR dans l’amylose TTR héréditaire (ATTRv).
COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC ?
Le diagnostic d’amylose repose usuellement sur l’obtention d’une preuve histologique avec une biopsie cardiaque ou extra-cardiaque  (BGSA…) qui met en évidence des dépôts de fibrilles amyloïdes (rouge congo+) et permet leur typage (TTR+ kappa+/lamba+/…). Dans le cas d’une amylose à TTR, le diagnostic peut être « non invasif » en combinant la mise en évidence d’une forte fixation cardiaque en scintigraphie osseuse (HMDP, DPD ou PYP) à une recherche exhaustive de gammapathie monoclonale négative (EPP, immunofixation, EPU + IEPU et dosages des CLL libres).

La phyisopathologie

UNE INSUFFISANCE CARDIAQUE (IC) PAS COMME LES AUTRES !
Les dépôts amyloïdes peuvent infiltrer toutes les structures cardiaques et entrainent généralement une IC.
   – L’infiltration ventriculaire est responsable d’une cardiomyopathie hypertrophique et restrictive. La FEVG est souvent préservée et reflète très mal la sévérité de l’IC: il est préférable de se baser sur d’autres paramètres comme le strain global longitudinal (SGL), le débit cardiaque, le flux mitral, le NT-proBNP, le retentissement de l’IC sur les autres organes (rein/foie…).
   – L’infiltration des ventricules les rend rigides, peu compliants et incapables d’adapter leurs volumes lorsque la fréquence cardiaque baisse. Le débit cardiaque est donc presque directement relié à la fréquence cardiaque. La troponine est fréquemment élevée (nécrose des cardiomyocytes liée aux dépôts amyloïdes).
   – L’infiltration atriale explique que les arythmies atriales soient très fréquentes et que certains patients puissent développer des thrombus cardiaques même en rythme sinusal.
   – Les troubles conductifs sont fréquents à tous les étages (BAV, BSA…) et nécessitent parfois l’implantation d’un pace-maker prophylactique.
LES AUTRES ORGANES ATTEINTS SONT TRÈS VARIABLES SELON LE TYPE D’AMYLOSE (AL/s-TTR/h-TTR = SELON LA MUTATION)
   – Les nerfs : les neuropathies canalaires (canal carpien/lombaire…) sont fréquentes dans tous les types d’amylose. Les AL ou ATTRv sont plus fréquemment responsables de neuropathie périphérique (sensitive +/- motrice) et de dysautonomie. Cette dernière peut altérer le transit avec notamment une gastroparésie mais peut aussi avoir des conséquences hémodynamiques (hypotension artérielle sans adaptation de la fréquence cardiaque).
   – La peau et les muqueuses : la macroglossie se voit surtout dans l’AL, l’infiltration de toutes les voies aéro-digestives supérieures est possible. Lorsqu’il existe une atteinte cutanée (plus fréquence dans les AL), celle-ci prédomine sur le tronc ++ et les membres supérieurs et est responsable d’une extrême fragilité cutanée (décollement, ecchymoses…).
   – L’atteinte rénale est plus fréquente dans les AL et est souvent protéinurique +/- néphrotique.
   – Les troubles de l’hémostase sont surtout présents dans l’amylose AL. Le déficit en facteur X est le plus fréquent.

En pré-opératoire

Le bilan réalisé doit être adapté au patient et selon les organes atteints par l’amylose.
   – Optimiser la volémie avant toute intervention : une hypovolémie entrainera un bas débit cardiaque / hypotension artérielle, une surcharge hydro-sodée entrainera une décompensation cardiaque.
   – Rechercher et traiter les troubles hydro-électrolytiques (dyskaliémie / dyscalcémie) à risque de trouble du rythme per et post-opératoire.
   – Vérifier l’hémostase (notamment faire un dosage du facteur X pour les AL). En cas de déficit significatif en facteur X (< 30%), discuter avec l’hémostase (PPSB ?).
                – Evaluation conjointe avec le cardiologue afin d’optimiser le traitement et prévenir les complications :
                – Réévaluation de l’échocardiographie (si non réalisée récemment).
                – Discuter la pose d’un pace-maker prophylactique en cas de troubles conductifs.
                – Valider le délai d’arrêt des anticoagulants.
                – Suspension des traitements cardiotropes (notamment IEC/ARA2/ARNi) sauf les diurétiques et les traitements bradycardisants ou ionotropes négatifs (ces derniers ne doivent généralement pas être reconduits).
                – Port de bas de contention largement préconisé (à adapter au type de chirurgie).
                – Calcul du score de Lee et dépistage éventuel de coronaropathie.
   – Avoir une biologie de référence avec les biomarqueurs cardiaque (NTproBNP/BNP ET troponine I ou T+++).
   – Rechercher une atteinte des voies aéro-digestives supérieures (risque de saignement / fragilité de la muqueuse. Dépister un syndrome d’apnée du sommeil
   – Rechercher une dysautonomie : hypotension orthostatique
   – Rechercher une gastroparésie : risque d’hypokaliémie si vomissements
   – Rechercher une atteinte cutanée (notamment d’une fragilité cutanée importante) et anticiper la prescription du matériel nécessaire à la protection la peau pendant / après l’intervention (patchs, champs collants …) :
                – Spray protecteur cutané type CavilonTM.
                – Pansement hydrocellulaire siliconé (hydrofibre).
                – Spray décollant anti-adhésif type NiltacTM.

En per et post opératoire : surveillance à personnaliser !

   – Privilégier une anesthésie locale ou loco-régionale lorsqu’elle est possible.
   -Aucun agent pharmacologique (hypnotique, analgésique, curare) n’est contre-indiqué. Leurs utilisations doivent être titrées et monitorées
   – En cas d’atteinte des voies aéro-digestives : tous les gestes ORL doivent être précautionneux du fait d’un risque de saignement / d’érosion muqueuse (intubation, pose de sonde gastrique). Risque d’intubation difficile en cas de macroglossie, et prévoir une sonde de plus petit calibre devant le risque d’infiltration laryngée amyloïde.
   – En cas d’atteinte digestive : induction en séquence rapide d’indication large
   – En cas de fragilité cutanée : éviter tout geste invasif / tout élément collant à la peau qui n’est pas indispensable. Eviter les zones les plus fragiles (tronc+++, membres supérieurs, cou). Veiller à une installation soigneuse et vérifier l’absence de compression (risque d’aggravation des neuropathies). Eviter les pansements compressifs. Rappeler au chirurgien le risque hémorragique / de retard de cicatrisation et la nécessité d’une hémostase soigneuse.
   – Si le patient est porteur d’un DAI : penser à l’inhiber en per-opératoire (bistouri électrique).
   – Attention à la décompensation cardiaque
                – Maintenir le patient euvolémique.
                – Surveiller l’apparition de signes d’insuffisance cardiaque notamment les signes droits ! Ascite, œdèmes, épanchements pleuraux … Et biologiquement insuffisance rénale (syndrome cardio-rénal) et cholestase …
                – Surveiller l’apparition d’un trouble du rythme et surtout de la conduction
                – En cas de trouble du rythme : éviter la mise sous béta-bloquant/inhibiteur calcique bradycardisant/digoxine. Le seul traitement anti-arythmique recommandé est la cordarone.
                – En cas de trouble de conduction ou d’insuffisance chronotrope : si la tolérance est bonne, demander l’avis du cardiologue (PM prophylactique ?); en cas de mauvaise tolérance (insuffisance cardiaque/choc…) : atropine puis en cas d’échec isoprénaline. Avis cardiologique en urgence (SEES ? PM ?).
   – En cas de dysautonomie :
                – Indications larges de mesure invasive de la pression artérielle. Devant une hypotension artérielle, un état de choc hémorragique/anaphylactique/cardiogénique doit être éliminé en premier lieu. Maintenir une normovolémie, monitorer la profondeur de l’hypnose et en cas de besoin, avoir recours à la noradrénaline. En post-opératoire, le port d’une contention veineuse est nécessaire, la verticalisation doit être rapide. Si l’hypotension persiste, se discute l’ajout d’un traitement vasoconstricteur (Midodrine) et/ou de fludrocortisone.
                – Une gastroparésie sévère fait discuter la mise en place d’une sonde naso-gastrique.
                – Ne pas s’inquiéter en cas d’élévation modérée isolée de la troponine post-opératoire (à comparer au dosage de référence). L’amylose cardiaque est fréquemment associée à une élévation « chronique » de la troponine.
                – Reprise dès que possible des anticoagulants (risque cardio-embolique), si besoin avec relais par héparine.